Selon le critère du modèle d'approche, on peut résumer comme ci-après les quatre grandes méthodes de lecture actuelles qui sont la méthode globale, la méthode semi-globale à laquelle est généralement préféré le terme "méthode mixte", la méthode syllabique et la méthode phonétique.
La méthode globale : elle a pour principale caractéristique de commencer l'apprentissage de la lecture par des textes et des phrases comme si, entre autres raisons, il y avait une relation "naturelle" entre le code écrit et la construction du sens qui est son objectif prioritaire.
L'inconvénient majeur inhérent à la méthode globale, lequel est en même temps le principal reproche qui lui a été adressé de manière unanime, est (en l'absence du concept de règle) de conduire à la devinette du code écrit en matière de lecture, ce qui se révèle inévitable puisque les apprenants restent dans l'ignorance du principe de fonctionnement du mot et a fortiori de la phrase.
La méthode mixte : la méthode globale introduit dans l'apprentissage de la lecture par la phrase entière et, la méthode semi-globale ou mixte, par le mot entier ; l'une et l'autre partagent ainsi le qualificatif de "global" ou "entier".
Au demeurant, la méthode mixte procède de l'oral vers l'écrit et expose aux mêmes risques de devinettes que celle-ci. Ce grave défaut a obligé certains auteurs à proposer l'incorporation, dans la pratique, des éléments qui sont de l'ordre de la méthode syllabique, à savoir la lettre et la syllabe.
Toutefois, cette perspective n'a guère changé la nature du problème soulevé ni apporté de solution nouvelle ; elle a donné l'occasion seulement de substituer l'expression "méthode mixte" à l'expression "méthode semi-globale" trop proche du terme fortement décrié désormais "méthode globale".
La méthode syllabique : sa particularité consiste à engager justement l'apprentissage de la lecture en partant de l'écrit, ou de la manière dont la langue française s'écrit aujourd'hui, et en allant des lettres à la phrase.
Elle n'échappe pas néanmoins aux faiblesses qui sont, entre autres, la tendance à présenter des lettres isolées et des syllabes artificielles, auxquelles l'on peut ajouter les mots entiers et qui sont sources de difficultés pour les apprenants.
La méthode phonétique : elle a pour spécificité d'entreprendre l'apprentissage de la lecture à partir de l'oral et, plus exactement, des sons auxquels sont associées les graphèmes auxquels correspondent les lettres et les séquences de lettres de l'alphabet actuel.
Tout se passe alors comme si les apprenants avaient notamment une connaissance discriminatoire des éléments du système phonétique de la langue et comme si celle-ci avait été transcrite phonétiquement ou phonologiquement, ce qui n'est évidemment pas le cas et n'aurait d'ailleurs rien changé à la problématique dans l'hypothèse contraire puisqu'une langue est un système de signes conventionnels et qu'il n'y a pas de correspondance objective entre l'oral et l'écrit.
Les quatre méthodes correspondent, à peu de chose près, à quatre catégories d'unités linguistiques qui sont la phrase, le mot, la syllabe et la lettre (dont l'équivalent phonétique est son).
Par rapport à l'entrée dans l'apprentissage de la lecture, les unes partent indûment de l'oral et donc du code sonore (où les apprenants ne savent pas ni ne voient pas) et, les autres, judicieusement de l'écrit et conséquemment du code écrit (où les apprenants ne savent pas mais voient) ; dans le premier cas, le point de départ est l'auditif, qui n'est pas connu des apprenants (ce qui est source de grandes difficultés pour l'apprentissage) et, dans le dernier, le visuel (ce qui réduit les difficultés de l'apprentissage) qui est les lettres et les syllabes et ceci rend leur tâche un peu plus aisée.
Quant aux contenus, c'est une autre affaire !
En bref, les principaux axes problématiques des méthodes d'apprentissage de la lecture se situent aux niveaux du mode de début de l'apprentissage et des contenus matériels.
Un point positif néanmoins à mettre à l'actif de la méthode globale et de la méthode mixte est l'attention portée au sens comme moyen facilitateur ; dans le même registre et à l'inverse de ses concurrentes, la méthode syllabique met au coeur de sa démarche le code écrit. Les deux dimensions centrales de la communication linguistique se réconcilient et se complètent dans la méthode linguistique d'apprentissage de la lecture qui a la particularité d'intégrer à la fois la phrase, le mot, le sens, la syllabe et la lettre (son).
Qu'à cela ne tienne, les difficultés des méthodes de lecture sont révélatrices de celles de l'ensemble du système éducatif qui entraînent des réformes à répétition souvent contestées dès leur annonce et donnant des résultats en demi-teinte, ce qui peut s'expliquer scientifiquement par le caractère insuffisamment élaboré des fondements rationnels sous-jacents.
Le projet de réformes engagé par Luc Ferry a recueilli des objections contre lui dès le jour même de son communiqué ; mais, les critiques ont porté surtout sur la forme ; sur le fond, elles suscitent cette interrogation décisive : quelles conceptions Luc Ferry a-t-il de la science (qui a connu de grandes mutations au cours des décennies passées) et de la société et, par suite, quels contenus donne-t-il au projet de réformes de l'éducation envisagé ?
Comme pour ceux des méthodes (nous devrions dire "la" méthode) de lecture, les contenus des enseignements dispensés dans le système d'éducation doivent découler de la vision de la science et de celle de la société qui en résulte. Faute de procéder de cette façon logique, les projets de réformes, quels qu'ils soient, se vouent aux oppositions malgré des éléments tout à fait intéressants qu'ils peuvent renfermer par ailleurs.
La question ci-dessus est à reposer à toutes les réformes, y compris dans les domaines autres qu'éducatifs.
En somme, les projets de réformes ne doivent pas se construire dans l'absolu, mais à partir d'une vision rigoureuse et cohérente à la fois de la science et de la société.
De façon radicalement différente, les "nouveaux programmes" préconisent pour l'entrée dans la lecture, non pas de faire "acquérir globalement" (méthode globale et méthode mixte) ni de procéder des sons aux lettres (méthode phonétique), mais de faire apprendre à "nommer les lettres de l'alphabet" et à reconnaître les syllabes des mots et ainsi de familiariser les enfants avec la "découverte du fonctionnement du code écrit".
Ce faisant, ils prennent l'exact contre-pied des méthodes globale, mixte et phonétique.
En situant la prévention de l'illettrisme au début de l'apprentissage de la lecture et en prônant une approche et un contenu pédagogiques nouveaux, le Ministère de l'Éducation nationale a rendu implicitement responsables des difficultés actuelles et a rejeté, sans le dire ouvertement, les méthodes de lecture en usage aujourd'hui.
Il reste à en tirer toutes les conséquences logiques !
On peut le constater, il s'agit bien, de la part du Ministère de l'Éducation nationale, d'un changement radical de la conception méthodologique et pédagogique des supports de lecture.
Dans ce domaine sujet à fortes controverses, où les recherches semblent dans l'impasse et les positions figées, sa décision a été de rejeter les unes (la méthode globale) et d'ignorer les autres (la méthode mixte et la méthode phonétique voire la méthode syllabique) !